Particularités de l’instabilité gléno-humérale antérieure chez le joueur de rugby

Docteurs Agout, Commeil & Lavignac

Introduction

L’instabilité glénohumérale antérieure est l’une des lésions les plus courantes de l’épaule chez le sportif, notamment chez le joueur de rugby. Elle résulte d’une perte de la stabilité entre la tête de l’humérus et la glène de l’omoplate, provoquant des épisodes de luxation ou de subluxation.
Cette pathologie, souvent sous-estimée, peut devenir chronique et compromettre durablement la performance si elle n’est pas diagnostiquée et traitée précocement.

Qu’est-ce que l’instabilité glénohumérale antérieure ?

L’articulation de l’épaule est la plus mobile du corps humain, mais aussi la plus instable.
La stabilité est assurée par un ensemble d’éléments :

  • Les structures osseuses : tête humérale et glène.
  • Les tissus mous : capsule, ligaments glénohuméraux et bourrelet glénoïdien (labrum).
  • Les muscles : notamment la coiffe des rotateurs (stabilisation musculaire active).

Lors d’une instabilité antérieure, la tête humérale se déplace vers l’avant de la glène, généralement à la suite d’un traumatisme. Cela entraîne une lésion du labrum (lésion de Bankart) ou de la tête humérale (encoche de Hill-Sachs), altérant la stabilité mécanique.

Le joueur de rugby : un profil à haut risque

Le rugby est reconnu comme l’un des sports les plus à risque de luxation antérieure de l’épaule, en raison de la combinaison de chocs violents et répétés.
Selon Cloke et al. (Br J Sports Med, 2008), l’incidence annuelle des luxations d’épaule atteint 14 cas pour 1000 joueurs, avec une prédominance chez les avants et les trois-quarts centres. Plusieurs études (Crichton et al., Am J Sports Med, 2013 ; Cloke et al., Br J Sports Med, 2008) montrent que les joueurs de rugby présentent un taux de récidive supérieur à 80 % après un premier épisode de luxation en l’absence de réparation chirurgicale.

Mécanismes lésionnels typiques

Trois mécanismes principaux sont responsables :

  • Le plaquage : le bras est souvent en abduction et rotation externe, position typique du mécanisme de luxation antérieure.
  • Les mêlées et rucks : fortes contraintes sur l’épaule, parfois avec bras bloqué.
  • La chute sur le bras tendu : impact direct qui provoque la translation de la tête humérale vers l’avant.

Ces gestes combinent force, vitesse et imprévisibilité, rendant l’épaule particulièrement vulnérable.

Ces gestes répétés entraînent des microtraumatismes capsulaires et des lésions osseuses progressives, rendant l’épaule instable même sans luxation complète.

Profil du joueur typique

  • Jeunes adultes (18–30 ans), souvent avants ou trois-quarts centres.
  • Épaules déjà hyperlaxes ou ayant connu une première luxation “banale” non opérée.
  • Musculature puissante masquant parfois une instabilité chronique.

Cette population associe fortes contraintes mécaniques et exigence de reprise rapide, rendant la stratégie thérapeutique plus complexe.

Les lésions associées chez le rugbyman

Le joueur de rugby présente souvent des lésions plus complexes que le patient non sportif :

  • Lésions osseuses glénoïdiennes (“bone loss”) fréquentes après luxations répétées.
  • Encoche de Hill-Sachs engageante
  • Lésions capsulaires étendues : formes ALPSA ou HAGL.
  • Atteinte du tendon du long biceps ou de la coiffe des rotateurs.

Selon Crichton et al. (Am J Sports Med, 2013), plus de 50 % des joueurs présentent une perte osseuse glénoïdienne supérieure à 15 %, contre moins de 25 % chez les non-sportifs.

Les symptômes

Les signes évocateurs d’instabilité antérieure sont :

  • Sensation d’épaule “qui sort puis rentre”.
  • Douleur antérieure ou post-effort.
  • Appréhension en rotation externe, souvent décrite comme une peur du déboîtement.
  • Perte de force et gêne dans les gestes de plaquage ou de passe longue.

Ces symptômes peuvent apparaître sans luxation complète, traduisant une instabilité fonctionnelle chronique.

Le diagnostic

Examen clinique

Le diagnostic repose sur la combinaison de tests spécifiques :

  • Test d’appréhension : position du bras en abduction-rotation externe provoquant une sensation d’instabilité.
  • Test de relocation : soulagement lorsque l’humérus est recentré.
  • Test du tiroir antérieur : translation excessive de la tête humérale.

Imagerie

  • Radiographies standards : recherche d’encoche humérale ou d’avulsion osseuse.
  • Arthro-TDM : évalue les lésions du labrum et des ligaments, mesure des pertes osseuses glénoïdiennes et caractérisation des encoches.

Selon Itoi et al. (J Bone Joint Surg Am, 2000), la quantification de la perte osseuse glénoïdienne est un facteur décisif dans le choix du traitement.

Les options de traitement

Traitement fonctionnel

Chez le joueur occasionnel ou en cas de premier épisode sans lésion osseuse majeure :

  • Réduction en urgence.
  • Immobilisation initiale (3 semaines).
  • Rééducation axée sur la proprioception et le renforcement de la coiffe.

Mais selon Robinson et al. (J Bone Joint Surg Am, 2006), le taux de récidive atteint 80 % chez les jeunes sportifs après un traitement conservateur.
Chez le rugbyman, la chirurgie est donc souvent discutée dès la première luxation.

Traitement chirurgical 

a. Réparation arthroscopique (Bankart)

Fixation du labrum à la glène avec ancres résorbables.

  • Indiquée si perte osseuse glénoïdienne <15 %.
  • Taux de récidive entre 10 et 20 % chez les sportifs de contact (Boileau et al., Arthroscopy, 2020).
  • Retour au sport après 4–6 mois.

b. Butée coracoïdienne (procédure de Latarjet)

Indiquée en cas de perte osseuse >15–20 % ou de luxations récidivantes.
Principe : transférer la coracoïde en avant de la glène pour recréer une barrière osseuse et musculaire (“triple verrou” de Patte).

  • Taux de récidive <5 %.
  • 90–95 % de reprise du rugby au même niveau (Hurley et al., Am J Sports Med, 2021).
  • Consolidation osseuse en 6 à 8 semaines, avec reprise des contacts à 4–6 mois.

La rééducation du joueur de rugby

Le programme doit être progressif, rigoureux et adapté au poste de jeu :

  1. Phase 1 (0–3 semaines) : immobilisation, travail scapulaire et proprioception de base.
  2. Phase 2 (3–6 semaines) : récupération des amplitudes et renforcement du tronc et de la scapula
  3. Phase 3 (6–12 semaines) : renforcement excentrique des rotateurs, travail en chaîne fermée.
  4. Phase spécifique du rugby  (3–6 mois) : réathlétisation, exercices de plaquage, simulations de mêlée. La reprise complète des contacts est autorisée autour du 4ᵉ–6ᵉ mois selon la force, la mobilité et l’absence d’appréhension.

L’objectif final est d’obtenir une épaule stable, puissante et sans appréhension, condition indispensable à la reprise des contacts.

Complications et suivi

  • Récidive d’instabilité (rare après butée).
  • Raideur post-opératoire (prévenue par kinésithérapie adaptée).
  • Arthrose glénohumérale secondaire, surtout après luxations multiples.

Un suivi régulier par le chirurgien et le kinésithérapeute est essentiel pour préserver la mobilité et surveiller les signes d’usure.

Pronostic et retour au sport

La majorité des joueurs opérés peuvent reprendre leur sport à niveau égal en 4 à 6 mois.
Une étude de Neyton et al. (Orthop Traumatol Surg Res, 2012) rapporte 92 % de reprise complète du rugby après Latarjet, avec une stabilité durable au long cours.

Messages clés pour le joueur et le staff médical

  • Une luxation chez un rugbyman jeune n’est jamais anodine.
  • Le risque de récidive sans chirurgie est très élevé.
  • Le bilan lésionnel précis (arthro-TDM) conditionne le bon choix de technique.
  • La chirurgie de Latarjet reste la référence dans les sports de contact.
  • La reprise des contacts doit être progressive et encadrée.

Conclusion

L’instabilité antérieure de l’épaule est une lésion emblématique du joueur de rugby, où la répétition des chocs favorise la chronicité. C’est une pathologie de contact, d’impact et de répétition, qui nécessite une prise en charge adaptée et spécifique.
Le diagnostic précis des lésions et le choix d’un traitement chirurgical adapté (souvent la butée de Latarjet) permettent aujourd’hui d’obtenir d’excellents résultats, avec un retour complet à la compétition, sans appréhension ni perte de performance, avec un excellent pronostic fonctionnel à long terme. Une rééducation spécifique et un suivi à long terme restent indispensables pour maintenir la stabilité et prolonger la carrière sportive.

Références bibliographiques

  1. Robinson CM, Howes J, Murdoch H, Will E, Graham C.
    Functional outcome and risk of recurrent instability after primary traumatic anterior shoulder dislocation in young patients.
    J Bone Joint Surg Am. 2006;88(11):2326–2336.
    https://doi.org/10.2106/JBJS.E.01327
  2. Cloke DJ, Ansell P, Avery PJ, Deehan DJ.
    A prospective study of injuries in elite rugby union and rugby league over a full season.
    Br J Sports Med. 2008;42(6):457–460.
    https://doi.org/10.1136/bjsm.2007.037168
  3. Crichton J, Jones DR, Funk L.
    Mechanisms of glenohumeral injury in elite rugby players.
    Am J Sports Med. 2013;41(1):186–193.
    https://doi.org/10.1177/0363546512466060
  4. Itoi E, Lee SB, Amrami KK, An KN.
    Quantitative assessment of classic Bankart lesions: relationship between glenoid bone loss and soft tissue damage.
    J Bone Joint Surg Am. 2000;82(3):403–409.
    https://doi.org/10.2106/00004623-200003000-00010
  5. Boileau P, O’Shea K, Vargas P, Pinedo M, Oldrini L, Zumstein MA.
    Anatomic and functional results after arthroscopic Bankart repair in collision athletes: a prospective study.
    Arthroscopy. 2020;36(5):1232–1243.
    https://doi.org/10.1016/j.arthro.2019.11.126
  6. Hurley ET, Fat DL, Duigenan C, Mullett H, Frank RM.
    Outcomes of the Latarjet procedure in contact versus noncontact athletes: a systematic review and meta-analysis.
    Am J Sports Med. 2021;49(2):345–352.
    https://doi.org/10.1177/0363546520938533
  7. Neyton L, Young A, Dawidziak B, Visona E, Hager JP, Walch G.
    Surgical treatment of anterior instability in rugby players: the Latarjet procedure.
    Orthop Traumatol Surg Res. 2012;98(6 Suppl):S130–S135.
    https://doi.org/10.1016/j.otsr.2012.04.013

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